17 Jan

Un story telling historique pour une Afrique gagnante

Publié par Christian Liongo



ARTICLE - Quel est le point commun des pays économiquement et politiquement dominants tels que les Etats-Unis, la France, la Chine ou le Japon ? Ils basent leurs modèles de succès sur une Histoire « glorieuse » que leurs élites racontent à leurs citoyens et au reste du monde. Et l’Afrique ?

La psychologie du succès ou de l’échec

J’aimerais relater une expérience psychologique qui a été conduite il y a quelques années dans une université américaine. Les responsables de l’étude ont sélectionné vingt jeunes élèves de huit ans d’âge dont les performances scolaires sont rigoureusement identiques. Ils ont réparti ces élèves en deux groupes égaux de dix élèves chacun : un groupe portant des vareuses rouges et l’autre des vareuses vertes. Il a été dit aux « verts » que compte tenu de leurs bons résultats scolaires, ils bénéficieront désormais d’un programme d’enseignement pour élite, tandis que les « rouges » seront astreints à suivre un programme pour élèves moins performants.

 

Bien entendu, par la suite, les deux groupes, qui furent séparés, ont suivi exactement le même programme avec les mêmes enseignants. Après quelques semaines de ce traitement différentié, des tests proposés aux deux groupes rouge et vert ont donné des résultats très contrastés ; les élèves verts réalisant des notes significativement meilleures que les rouges.

 

Art1

 

Le simple fait que des étudiants a priori de niveau identique aient été soumis à un traitement psychologique différent - désignation arbitraire de « bons » et de « moins bons » et récompense d’un présumé bon programme pour les premiers - suffit à expliquer le différentiel de rendement. La forme l’emporte sur le fond.

 

Transposition aux Etats

Le succès des nations et singulièrement de leurs économies est certes affaire d’agrégats économiques tels que la consommation des ménages, le niveau des investissements privés et publics ou encore du commerce extérieur, mais c’est aussi, et peut-être surtout, affaire de psychologie. Une économie forte et conquérante ne peut se reposer que sur des nationaux ayant un « moral au zénith », qui croient en eux, en leur histoire et en leur devenir commun.

 

A cet égard, le rôle de premier plan que joue la France dans le concert des nations s’explique en partie par une capacité extraordinaire de ses élites à reposer leur identité nationale sur un corpus historique et culturel que chaque Français apprend dès son plus jeune âge. C’est une histoire faite de résilience, de souffrances mais surtout de gloire où les héros prenant les traits de Vercingétorix, du Roi François Ier, de Jean d’Arc ou de Napoléon, apparaissent tantôt vaincus tantôt vainqueurs mais toujours glorieux et magnifiés. De la France aux studios de Hollywood, il n’y a qu’un pas à faire.

 

Art2

 

Puisqu’il s’agit de servir la « bonne cause », celle d’une nation soudée par un passé glorieux commun et ayant foi en son avenir, nul ne s’étonnera que cette Histoire soit quelque peu orientée.

 

Il s’agit d’une Histoire qui est racontée aux jeunes français à la manière d’un story telling où plus important que le fond, il est donné une importance primordiale à la forme, à la manière de raconter les faits dits historiques. L’objectif cardinal étant de faire aimer un produit : le produit France. Le faire aimer de ses habitants mais aussi à l’extérieur de l’Hexagone.

 

En la matière, l’œuvre de l’intelligentsia française est une réussite magistrale. Le Français moyen a conscience qu’il est le produit d’un Etat dont la consolidation a commencé il y a près de 1500 ans avec Clovis, le roi Franc. Il croit en son particularisme et à son « exceptionnalisme ». Il s’en revendique, lui qui est issu du « Pays des Droits de l’Homme » et des « Lumières ». Etre Français, c’est en quelque sorte vivre une expérience humaine unique.

 

Compte tenu de ce bagage psychologique singulier nourri pour un story telling mille fois répété de l’école élémentaire aux Grandes écoles sans omettre les médias, peut-on s’étonner que le Français ait depuis des siècles des velléités de se projeter vers l’avant, une propension marquée à conquérir d’autres peuples afin de leur apporter ses Lumières ?

 

L’Afrique face au défi d’un story telling efficace

J’ai l’intime conviction, en fait la certitude, que l’Afrique noire se doit de se doter le plus rapidement possible d’un corpus historique commun où faits historiques et mythes galvanisants feraient bon ménage. Oui, un peuple prospère se repose sur des mythes stimulants.

 

Chaque Africain devrait avoir conscience de faire partie d’une communauté qui est le fruit d’une même séquence historique. Cette Histoire est d’autant plus aisée à « construire » qu’elle reposerait largement sur des faits passés avérés. Du premier homme tel que nous le connaissons aujourd’hui, l’homo sapiens sapiens, aux riches royaumes Kongo, Zulu, du Ghana, du Mali, … en passant par les dynasties pharaoniques dont le caractères négro-africain a été maintes fois prouvé malgré certaines résistances évidentes, que manque-t-il pour ériger la plus glorieuse des histoires humaines ? Les héros de cette épopée de l’Homme noir se nommeraient Narmer, le 1er pharaon à avoir unifié l’Egypte, Nzinga Nkuvu, Soundiata Keïta, Chaka Zulu, Simon Kimbangu, …….

 

Art3

 

Ce story telling commun serait appris dès le bas âge aux enfants de Dakar, Lagos, Yaoundé, Libreville ou encore de Kinshasa, Windhoek ou Johannesbourg.

 

L’Union Africaine, dont les actions politiques à l’échelle continentale paraissent timides, serait enfin inspirée en instituant une commission officielle réunissant des historiens africains de talent - Elikia Mbokolo, Isidore Ndaywel, Théophile Obenga, les tenants de l’école Cheick Anta Diop, …. - afin que cette Histoire prenne corps.

 

Ce serait assurément faire œuvre utile. L’Afrique rentrera par la grande porte de l’Histoire de demain à condition d’ouvrir aujourd’hui la fenêtre de son passé glorieux, de le formaliser et se l’approprier.

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